Je me rappelle de cette nuit… du bruit de l’orage… de cette cave, froide et humide… et de la douleur, sourde, terrible, qui me labourait le crâne. J’avais besoin d’air.
Tant bien que mal, j’ai traîné mon corps meurtri vers l’escalier, manquant de sombrer dans l’inconscience à chaque pas. L’eau ruisselait jusque dans le sous-sol et là-haut, par l’embrasure d’une porte depuis longtemps arrachée, je pouvais apercevoir le ciel.
Lentement, péniblement, j’ai gravi les marches glissantes jusqu’à pouvoir plonger mon regard dans l’obscurité de la nuit. C’est là que j’ai compris que j’avais tout oublié… mémoire… perdue dans les ténèbres, arrachée par la tempête.
Je suis resté longtemps comme ça, hagard, à attendre Dieu sait quoi et puis j’ai fini par redescendre dans mon trou crasseux. A cet instant, cette cave était tout ce que je connaissais du monde. Au milieu des gravats et des détritus, je trouvai des restes de nourriture… un quignon de pain, rassis depuis longtemps, le fond d’une bouteille d’alcool frelaté… Je les avalais malgré tout, me forçant à mâcher lentement, avec application même, dans l’espoir de voir un souvenir remonter à la surface de mon esprit. Rien. Je m’allongeai là où j’avais repris conscience et, recroquevillé sur moi-même, je passai la nuit. Je me réveillai au petit matin, tremblant de froid, englué dans une mare de vomissures, mais l’esprit clair. Oh, je ne me souvenais toujours de rien, mais ma fièvre semblait être retombée et je réussi à me redresser sans trop de peine.
Le soleil se levait à peine lorsque j’émergeai de terre au milieu d’un petit village dévasté, jonché de débris et envahi d’herbes folles. Un petit groupe d’hommes semblait avoir élu domicile au milieu de cette désolation et il planait sur leur campement de fortune une atmosphère étrange, tendue, faite d’un silence que rompaient seulement quelques murmures suivis de rires étouffés. Le long du chemin boueux qui traversait les ruines, des hommes montaient une garde vigilante, les mains posées sur leurs armes. Mon apparition attira quelques regards, mais personne ne parut s’intéresser à moi plus que quelques instants. Qui étaient-ils ? Des mercenaires ? Des bandits ? Je n’en savais rien et, n’osant m’approcher d’eux, j’errai un temps entre les habitations en ruines. L’endroit n’avait rien d’accueillant. Les maisons avaient été saccagées et pillées depuis longtemps. On n’y trouvait plus rien que des déchets, de la crasse et quelques matelas moisis jetés à même le sol.
Le village avait été bâti dans un creux de terrain et bientôt je dépassais la dernière maison, me retrouvant à gravir le chemin détrempé qui s’étirait jusqu’au sommet d’une colline. Tout au long de mon ascension, je nourrissais l’espoir que le paysage ferait remonter à ma conscience quelques souvenirs. Il n’en fut rien. Avais-je déjà vu cette route défoncée, ce paysage vallonné, parsemé d’arbres et de rochers, ces bosquets touffus ? Peut-être… une sensation vaguement familière m’avait traversée, mais pas davantage.
Je cherchai vainement à retrouver en moi ce qui avait provoqué ce sentiment fugitif de « déjà vu » lorsqu’une voix me héla. Je sursautai. Que me voulait-on ? En contrebas, à l’entrée du hameau, un homme agitait le bras dans ma direction.
« Sidorovich veut te voir. » me cria-t-il.
Je descendis lentement la colline, jusqu’à le rejoindre. Quand j’arrivai à sa hauteur, il se contenta de répéter « Sidorovich veut te voir ». Devant mon air perdu, il tendit vaguement le bras en direction du village et ajouta « Le bunker, de l’autre côté des maisons ».
Sidorovich ?! Me connaissait-il ?! un fol espoir s’était emparé de moi et, je l’avoue, je traversais le village en toute hâte, manquant à plusieurs reprises de glisser dans la boue. Peut-être allais-je enfin savoir qui j’étais ! Peut-être allais-je retrouver la mémoire ! Qu’est-ce qu’un homme sans ses souvenirs ?
L’entrée du bunker… je la vois encore, installée à flanc de colline, à l’arrière du village, sous les arbres… Un escalier de béton qui s’enfonce dans la terre… J’y suis descendu, le cœur plein d’espoir, les entrailles nouées par l’angoisse, une question me brûlant les lèvres…
Qui suis-je ?!
Je la hurlai pratiquement au gros homme tapi derrière son bureau. Il me toisa un long moment avant de prendre la parole.
« Hier matin, le Rouquin m’a ramené ton corps. Il m’a juré t’avoir trouvé dans l’épave d’un de ces corbillards qui reviennent parfois du Nord. Rien d’inhabituel hein ! Sauf que t’étais en vie et ça, c’était pas ordinaire. Les corbillards ne ramènent que les morts. »
Il a marqué une pause. Les corbillards ? Qu’est-ce que… ? Où étais-je donc ?!
« Tiens, tout ce que t’avais d’intéressant sur toi, c’est ce PDA, reprit-il en me tendant un petit appareil. Je le lui arrachais des mains puis tentais fébrilement de l’allumer.
T’excites pas le Tatoué, j’ai déjà regardé, il n’y a rien dessus. Juste un message. »
Lorsqu’enfin je trouvai le petit bouton, l’écran s’illumina vivement, laissant apparaître une simple phrase :
Kill the Strelok
« Tu vois ? Y a rien d’autre. Alors qui t’es, j’en sais foutrement rien mais si je t’ai sauvé la vie, c’est pas pour me faire mousser. Tu cherches des réponses, je peux peut-être t’aider à en trouver, mais en attendant, tu peux toujours bosser pour moi. Et qui sait, ça pourrait te remettre les idées en place. Alors ? T’en dis quoi ? »
Avais-je vraiment le choix ? Evidemment, j’aurai pu tourner les talons, quitter ce bunker, mais ensuite ? Putain, j’en savais rien… ! Alors j’ai dit oui.
Sidorovich n’a pas perdu de temps, il m’a rapidement expliqué ce qu’il attendait de moi. Il était prêt à me payer, en roubles et en équipement, pour que je retrouve Nimble, un de ses gars. Loup me donnerait un peu d’équipement et des informations supplémentaires sur Nimble. Enfin j’ai vite compris que ce connard ne se préoccupait pas beaucoup du sort de ce Nimble. Tout ce qu’il voulait, c’était récupérer une clef USB et les informations qu’elle contenait. Je ne devrais pas jouer les indignés, après tout je ne m’inquiétais pas davantage du sort de ce type… Tout ce que je voulais, c’était comprendre ce qui me tombait dessus.
Avant de ressortir du bunker, j’ai posé quelques questions à Sidorovich. Pour savoir où on était, qui étaient les gars armés dans le village… enfin tout ça quoi.
« La Zone » a-t-il simplement lâché. Je suis resté planté là, devant lui, jusqu’à ce qu’il accepte de poursuivre.
« Ok. Bon. En 86 quand la centrale de Tchernobyl a explosé… »
Tchernobyl… l’accident… le 26 avril 1986… des bribes de souvenirs remontaient à la surface, je m’empressais de les agripper, de les rassembler. Trop occupé à essayer de les comprendre, je n’entendais plus Sidorovich. Petit à petit, j’arrivais à reconstituer une trame, courte mais précise, dont les quelques mots de Sidorovich n’étaient que le début.
Dans la nuit du 26 avril 1986, un test mené sur le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl tourne au drame. La fusion du cœur du réacteur provoque une série d’explosions et la fuite d’importantes quantités de particules radioactives dans l’atmosphère. La ville voisine de Prypiat et les environs de la centrale sont évacués dans l’urgence tandis que l’armée déploie un cordon sanitaire destiné à interdire tout accès à la centrale. Il faut plusieurs mois d’efforts et de sacrifices pour étouffer le feu qui couve dans le réacteur éventré et bâtir une nouvelle enceinte de confinement. Le sarcophage. Puis l’endroit est abandonné. Le silence s’installe et la nature finit par reprendre ses droits. L’histoire aurait pu s’arrêter là… Mais vingt ans plus tard, un deuxième incident a lieu.
Au milieu de la nuit du 12 avril 2006, une lueur insoutenable déchire l’obscurité. La terre tremble violemment. On croit à une nouvelle explosion du réacteur mais les autorités se contentent de renforcer la sécurité autour de la zone d’exclusion et d’en interdire totalement l’accès. Le temps passe et des rumeurs naissent. Les populations qui vivent encore aux abords de la Zone s’inquiètent. On raconte que des monstres y ont été aperçus, on raconte que d’étranges choses s’y passent…
Quelques courageux osent franchir le cordon militaire, en quête de réponses, mais bien peu reviennent. Les rares survivants font part de récits fantastiques et rapportent avec eux des reliques, des artefacts, qui témoignent de l’existence de phénomènes mystérieux et inexplicables… Bientôt, ces artefacts aux propriétés inconnues se revendent à prix d’or au marché noir, suscitant la convoitise d’aventuriers et de mercenaires. Jour après jour, en dépit des interdits et des barrages, au mépris des radiations et des anomalies, ils infiltrent la Zone. Ceux-là, on les appelle S.T.A.L.K.E.R.
Soyez le premier à commenter